Une entreprise de bâtiment condamnée pour "discrimination raciale systémique"
24 décembre 2019 à 11h01 par Manuel Mariani
C'est une première en France : Le Tribunal des Prud'hommes de Paris X° vient de condamner une entreprise de bâtiment à plus d'un million d'euros de dommages et intérêts pour "discrimination raciale systémique".
Suite à deux accidents du travail survenus en 2016, 25 ouvriers maliens en situation irrégulière qui travaillaient sur le vaste chantier "Breteuil-Ségur" avaient décidé d'appeler les secours, ainsi que la CGT, malgré l'interdiction de leur employeur, la société MT Bat Immeubles, l'un des sous traitants du chantier.
Après 2 mois de grève et d'occupation du site, ces ouvriers avaient obtenu leur régularisation, ainsi que leur réembauche par le donneur d'ordre du chantier.
Tous embauchés sans être déclarés, et assignés aux tâches les plus pénibles et dangereuses du chantier, exposés à l’amiante et au plomb, sans protection ni équipement de sécurité, du fait de leur origine mais aussi de leur absence de titre de séjour, les 25 ouvriers maliens viennent d'emporter une décision juridique historique auprès du Conseil des Prud’hommes de Paris X°.
Assistés par leur avocate, Maître Aline Chanu, avocate associée au cabinet Lepany, et avec le soutien de la CGT, ils ont été reconnus victimes de travail dissimulé, de conditions de travail indignes, de rupture abusive de contrat de travail, de mise en danger de la vie d’autrui et, surtout, de "discrimination raciale systémique". Chaque salarié a obtenu 34.000€ de dommages et intérêts et près de 3000€ d’arriérés de salaires, pour un total de plus d'un million d'euros.
C’est la première fois en France que le caractère systémique de la "discrimination raciale systémique" est reconnu dans un jugement. "Les responsables de la société mise en cause considéraient les travailleurs maliens comme des entités interchangeables et négligeables et les plaçaient ainsi en bas de l’échelle de l’organisation du travail", détaille le jugement reprenant les éléments développés dans le procès-verbal de 300 pages établi par l’inspection du travail et la description d’une organisation pyramidale répartissant les taches suivant les nationalités et la situation administrative des travailleurs.
Selon la CGT, "Cette décision inédite est une victoire syndicale déterminante et emblématique car elle permet de créer un précédent et d’inscrire dans le Droit les discriminations que subissent les travailleurs sans-papiers africains de notre pays, dans le BTP et le nettoyage, la restauration ou le traitement des déchets ; une réalité sociale que la CGT met en lumière depuis plus de 10 ans. Plus que jamais, la CGT réaffirme qu’un État de Droit se doit de protéger l’ensemble des travailleurs sur son territoire et garantir l’égalité de traitement dans les entreprises. Pour faire respecter ces principes constitutionnels, la CGT revendique plus que jamais la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers sur simple preuve de la relation de travail".
Placée en liquidation judiciaire en 2018, le gérant de la société MT Bat Immeubles n'avait pas pris la peine d'assister à l'audience des prud'hommes, ni même de se faire représenter. Ne pouvant être versées par cette entreprise, les indemnités obtenues seront prises en charge par les AGS (régime de garantie des salaires).