"Algérie, sections armes spéciales" : un film brise le silence sur l’usage d’armes chimiques par l’armée française !
Déprogrammé de France 5, le documentaire de Claire Billet, basé sur les recherches de l’historien Christophe Lafaye, révèle un pan méconnu de la guerre d’Algérie.
Publié : 24 mars 2025 à 19h00 par La rédaction
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Un documentaire bouleversant de 52 minutes, longtemps resté dans l’ombre du débat public, vient mettre en lumière une réalité occultée de la guerre d’Algérie : l’usage d’armes chimiques par l’armée française entre 1956 et 1962.
Réalisé par Claire Billet et fondé sur les travaux méticuleux de l’historien Christophe Lafaye, « Algérie, sections armes spéciales » propose un éclairage inédit sur une stratégie militaire illégale et meurtrière. Ce reportage a été diffusé pour la première fois le 9 mars par la chaine suisse RTS.
Un documentaire attendu, puis déprogrammé
Initialement prévu pour être diffusé sur France 5, le film a été déprogrammé quelques jours avant sa diffusion, officiellement en raison d’une actualité internationale jugée prioritaire.
Cette décision, intervenue dans un climat diplomatique déjà tendu entre Paris et Alger, a été perçue comme une tentative d’évitement. Face aux critiques, France Télévisions a toutefois mis le documentaire en ligne sur sa plateforme France.tv, en promettant une diffusion télévisée ultérieure, sans préciser de date.
Des révélations dérangeantes
Le film s’appuie sur des témoignages de soldats français, anciens membres des « sections armes spéciales » qui avaient pour mission de contaminer les grottes utilisées par les combattants de l’Armée de libération nationale (ALN). Armand Casanova, l’un d’eux, évoque encore « l’odeur du gaz et celle de la mort », soixante ans après les faits.
Ces unités étaient chargées d’utiliser des gaz pour contraindre les résistants à quitter leurs refuges ou pour les tuer par asphyxie. Les grottes, parfois occupées par des civils, étaient aussi visées à titre préventif, afin de les rendre inutilisables. Christophe Lafaye estime que ces opérations ont fait entre 5 000 et 10 000 victimes algériennes.
Une enquête historique laborieuse
L’historien Christophe Lafaye a mis plus d’une décennie à documenter cette guerre chimique clandestine. Il raconte avoir découvert ce sujet en travaillant sur les opérations militaires françaises en Afghanistan. En croisant archives, entretiens et observations de terrain, il a identifié au moins 440 opérations de gazage – un chiffre qui pourrait être bien plus élevé.
Il a également mis au point un outil permettant de convertir les anciennes coordonnées militaires en points cartographiques exploitables, facilitant la localisation des sites contaminés.
Le gaz CN2D : une arme de guerre dissimulée
Le film détaille les compositions utilisées. Principalement un mélange de CN (chloroacétophénone) et de DM (Adamsite), un dérivé arsénié, transporté à l’aide de terre siliceuse pour pénétrer plus profondément les voies respiratoires.
Ces substances, censées être réservées au maintien de l’ordre, ont été combinées à des doses létales pour agir comme une arme de destruction massive. Officiellement interdites depuis le Protocole de Genève de 1925, ces armes ont pourtant été utilisées massivement sur le territoire algérien.
La grotte de Ghar Ouchetouh : symbole d’un massacre
Le documentaire donne aussi la parole à des survivants algériens. Amar Aggoun et Mohamed Ben Slimane Labaaci, adolescents au moment des faits, racontent le gazage de la grotte de Ghar Ouchetouh, les 22 et 23 mars 1959.
Près de 150 personnes s’étaient réfugiées dans cette cavité naturelle. Seuls quelques enfants ont survécu à l’attaque chimique. Ce drame, jusqu’alors peu documenté, est aujourd’hui présenté comme l’un des épisodes les plus meurtriers de cette guerre silencieuse.
Un silence d’État persistant
L’accès aux archives reste difficile. Malgré une période d’ouverture entre 2012 et 2019, les chercheurs doivent aujourd’hui affronter des refus systématiques de communication, au nom de la sécurité nationale.
Pour Christophe Lafaye, ce verrouillage est un frein à la vérité historique. « L’armée a suivi des ordres politiques. C’est à l’État d’assumer cette histoire », martèle-t-il.
Une mémoire à partager des deux côtés de la Méditerranée
Tourné en France et en Algérie, le film est le fruit de quatre années de travail. Pour Claire Billet, il était essentiel de « restituer cette mémoire aux citoyens des deux rives ». La réalisatrice souligne l’importance de briser l’omerta qui entoure ces faits, toujours absents des récits officiels.